Une réfutation de l'affirmation utilitariste selon laquelle nous devrions tous être végétariens
Selon les militants en faveur des droits des animaux, nous devrions accorder une considération égale au bonheur animal et humain, et par conséquent, nous devrions être végétariens pour réduire la souffrance animale. Cependant, lorsque nous examinons les fondements philosophiques de ce raisonnement, nous découvrons que la conclusion logique pourrait ne pas être aussi claire, et pourrait même être l’inverse. Cet article peut être vu comme une réfutation de la thèse de La Libération animale de Peter Singer tout en acceptant ses hypothèses de philosophie utilitariste et d'égale considération pour le bonheur des animaux et des humains.
Dans cet article, nous allons réfléchir à la question de savoir si manger de la viande est une bonne ou mauvaise chose, et pour cela, nous allons réfléchir dans le cadre de la philosophie morale appelée « utilitarisme ». Ne vous inquiétez pas si vous ne savez pas ce que c'est, c'est en fait une idée très simple car on peut la résumer par : « Dans une situation donnée, le choix moral à faire est celui qui engendre le plus de bonheur ». Le terme « utilitarisme » est en fait assez contre-intuitif, car « utilité » signifie ici le bonheur des gens et n'a rien à voir avec l'utilité sociale ou quelque chose qui est « utile » au sens commun.
Si vous avez lu mes précédents articles sur la philosophie, vous vous souviendrez peut-être que je suis assez sceptique quant à l'utilitarisme. Étant donné que les humains, dans la société moderne, évoluent dans un environnement où les lois sont prédominantes, je pense qu'il est plus utile de réfléchir à la façon de construire des lois justes, et alors le comportement moral consiste en grande partie à suivre ces lois justes. Cependant, on ne peut pas s'attendre à ce que les animaux négocient les lois avec les humains, c’est pourquoi ces philosophies « avancées » ne peuvent pas être appliquées pour la question de l’élevage. Pour cette problématique, le fait que l'utilitarisme soit simpliste devient un avantage, car les notions de bonheur et de souffrance ont aussi un sens lorsqu'elles sont appliquées aux animaux, et cette philosophie peut donc être appliquée directement aux animaux. Notez que pour les animaux très avancés comme les grands singes, cela peut aussi être insuffisant (comme pour l’homme), mais ici les animaux qui m’intéressent sont ceux qu’on élève dans les fermes.
Le point fort de l'argument antispéciste
En général, les défenseurs des droits des animaux passent beaucoup de temps à justifier que le bonheur animal mérite autant de considération que le bonheur humain. Cet argument avait déjà été avancé par le fondateur de l'utilitarisme, Jeremy Bentham, dès 1790. Mais l'argument le plus célèbre aujourd'hui est celui du livre La Libération animale de Peter Singer, qui est même cité comme référence par la PETA, une célèbre association américaine militant pour l'abolition complète de l'utilisation des animaux dans la société humaine.
Leur raisonnement est le suivant : les animaux sont capables de souffrir et d’être heureux, donc leur souffrance et leur bonheur comptent tout comme la souffrance et le bonheur humains. Nier cela, c'est tout simplement du racisme envers les animaux (le terme spécifique est « spécisme ») qui n'a aucune base scientifique puisque les humains ont évolué continuement à partir des animaux.
Ne vous méprenez pas sur leur point de vue. Il est parfois caricaturé comme affirmant que la vie d'un humain n'a pas plus d'importance que la vie d’un animal. Peter Singer ne dit pas quelque chose d'aussi extrême. Il reconnaît que différents animaux sont capables de souffrir et d’être heureux à des degrés différents selon les espèces. Le bonheur des animaux plus « avancés » importe donc plus, mais c'est une différence de degré, pas de nature. Ainsi, par exemple, la souffrance d'un chat peut avoir moins d'importance que la souffrance d'un humain, mais la souffrance de 1 000 chats aura plus d'importance.
Après avoir démontré cette proposition, les militants en faveur du végétarisme pensent que le plus dur est fait. Après cela, ils soulignent que le bonheur pour un humain de manger de la viande est inférieur à la souffrance de l'animal en question dans la ferme, et par conséquent, manger de la viande est immoral.
Les carnivores attaquent généralement la première partie du raisonnement, c'est-à-dire qu'ils essaient de faire valoir qu'il y a une raison valable de considérer la souffrance animale comme toujours secondaire par rapport au bonheur humain, de sorte que le plaisir de manger de la viande l'emporte sur la souffrance de animaux. Je pense que cette approche est profondément erronée, car elle attaque la partie du raisonnement qui est en fait solide. La partie faible est la seconde, comme je vais essayer de l'expliquer dans les sections suivantes.
Doit-on acheter de la viande ?
Passons au problème du monde réel. L'aspect le plus important du bonheur animal est clairement la production de viande, car le nombre d'animaux élevés pour la viande dépasse largement les animaux élevés à d'autres fins. L’élevage représente environ 70 milliards d'animaux par an, dont la grande majorité sont des porcs, des vaches et des poulets. Il est donc clair que le plus grand problème moral concernant les animaux est celui de la légitimité de cet élevage.
Considérons maintenant un choix éthique sur l'achat de viande. Supposons que vous vouliez acheter du poulet, et que vous ayez 3 choix :
Poulet « industriel » élevé avec dans un élevage intensif
Poulet « plein air » élevé dans des conditions favorables au bien-être animal
Ne pas acheter de poulet du tout
La comparaison entre 1 et 2 est facile, car le résultat de votre choix n'a aucun impact sur le nombre total de poulets élevés. Cela ne fait que changer la vie d'un poulet d'une vie misérable à un vie agréable, donc en gros vous rendez un poulet plus heureux. Bien sûr, les poulets du supermarché sont déjà morts donc rien ne changera pour eux, mais comme la production s'adapte à la demande, chaque poulet « plein air » supplémentaire acheté au lieu d’un poulet « industriel » donnera lieu à un futur poulet élevé dans de bonnes conditions au lieu de mauvaises. Vous pourriez objecter que la production n'est pas ajustée précisément à chaque poulet acheté, mais cela ne change pas la validité de cet argument, car si les gens achètent 1 million de poulets « plein air » au lieu de poulets « industriels », les agriculteurs s'adapteront pour produire 1 million de poulets « plein air » en plus et 1 million de poulets « industriels » en moins, donc au final, chaque poulet « plein air » acheté correspond à un poulet « plein air » né.
Il y a donc un argument clair en faveur de l'achat de viande provenant d’exploitations agricoles soucieuses du bien-être animal. Mais qu'en est-il du choix entre 1 et 3 ou entre 2 et 3 ? Là c'est plus compliqué, car la différence est alors pour le poulet de naître ou de ne pas naître du tout. Qu’est-ce qui est le mieux pour lui alors ? Comme nous allons le voir dans la section suivante, cela soulève une question difficile : faut-il chercher à maximiser le bonheur total ou moyen ?
Bonheur total ou moyen ?
La philosophie utilitariste nous dit de maximiser le bonheur des humains et des animaux. Mais est-ce le bonheur total ou moyen ? La différence est que dans la version « moyenne », nous divisons par le nombre de personnes pour obtenir le bonheur moyen de quelqu'un sur Terre, tandis que dans la variante « totale », nous calculons simplement le total, donc plus il y a de personnes, mieux c'est.
Si la décision que vous prenez n'a pas d’influence sur le nombre d'humains et d'animaux sur Terre, ce choix de philosophie n’a aucune importance. Mais quand on parle d'avoir plus d'enfants ou d'acheter de la viande c'est important. Considérons d'abord l’utilitarisme total, qui est la version originale de l'utilitarisme créée par Jeremy Bentham en 1790 (également appelé utilitarisme « classique » pour cette raison).
Le problème avec cette variante « totale » est qu'elle conduit au paradoxe de la simple addition : il faut faire le plus d'enfants possible, même si cela conduit à l'extrême pauvreté et à la famine, tant que les vies de ces personnes supplémentaires ne sont pas horribles au point qu’elles préfèreraient se suicider. Cela semble contre-intuitif, car nous préférerions probablement être moins nombreux mais plus heureux. Il semble d’ailleurs particulièrement étrange de préconiser cette version de l'utilitarisme à l'ère actuelle où nous atteignons les limites de certaines ressources naturelles au niveau de la planète.
Alors la solution semble évidente, il suffit de considérer le bonheur moyen non ? C'est ce que de nombreux utilitaristes ont commencé à préconiser depuis John Stuart Mill en 1860. Un argument intuitif en faveur de ce point de vue est qu'il maximise les chances d'un enfant qui vient au monde d'être heureux (mathématiquement il maximise l'espérance de bonheur d'une personne qui naît).
Mais la variante « moyenne » a aussi ses problèmes. Devriez-vous donner naissance à un enfant ? Avec cette variante, cela dépend si votre enfant serait plus heureux que l'enfant moyen sur Terre. Si tel est le cas, c'est une bonne action d'avoir un enfant, sinon c'est une mauvaise action. Donc, si vous vivez dans un pays pauvre et que votre enfant serait moins heureux que l'humain moyen, alors il est immoral de faire des enfants !
Autre conséquence étrange : Imaginez que des extraterrestres intelligents existent et qu'un jour ils découvrent la Terre et calculent, avec une technologie avancée, que le bonheur moyen d'un humain est inférieur à celui d'un extraterrestre. L'utilitarisme moyen conduirait alors à la conclusion que l'action morale pour eux est d'exterminer toute l'humanité, car cela augmenterait le bonheur moyen dans l’univers !
Il semble donc que l'utilitarisme moyen a aussi d'étranges conséquences, et l'on pourrait penser qu'en fait la variante « totale » est finalement plus adaptée à la question de l'ajout de personnes ou d'animaux dans le monde.
Notez également que dans les deux variantes, il n'y a aucun moyen de faire la distinction entre un acte moralement bon mais non obligatoire et un acte moralement obligatoire. L'utilitarisme peut simplement mesurer à quel point chaque action est bonne ou mauvaise, mais il ne dit rien sur la distinction entre les actions facultatives et obligatoires. C'est en fait une limitation générale de l'utilitarisme (mais elle est résolue par l'éthique rawlsienne par contre).
La conclusion selon moi est que les modèles « moyen » et « total » ont tous les deux leurs problèmes, nous devrions donc être prudents lorsque nous réfléchissons aux questions qui impliquent une variation dans la taille de population. C'est pourquoi nous allons analyser l’action de manger de la viande dans la section suivante selon les deux modèles, afin que vous puissiez voir les conséquences en fonction de votre modèle préféré.
Revenons maintenant aux animaux !
Alors maintenant, comment tout cela s'applique-t-il à la question de savoir s'il faut ou non manger de la viande ?
Modèle utilitariste total
Supposons que nous considérions l'utilitarisme total. Dans ce cas, le fait d'ajouter des animaux est bon ou mauvais selon si leur leur bonheur tout au long de leur vie est positif ou négatif (un humain comme un animal ne peut pas être heureux 100% du temps, donc ce qui compte c’est le « bilan » sur toute leur vie).
Qu'est-ce que cela signifie en pratique ? Les animaux de ferme sont-ils en dessous ou au-dessus de ce niveau zéro ? Pour avoir une intuition on peut faire l’expérience de pensée suivante : si vous pouviez euthanasier par magie tous les animaux dans les fermes (sans aucune douleur), le feriez-vous ? Personnellement, je ne pense pas. La plupart des animaux n'ont pas une vie si mauvaise au point qu'il serait préférable pour eux qu'ils soient morts. Bien sûr, cela dépend des pratiques agricoles, et il se peut que dans certaines fermes et pour certains animaux, leur vie soit si misérable au point qu'ils préféreraient mourir s’ils pouvaient exprimer leurs préférences. Donc, pour résumer, même si les animaux pourraient vivre une vie plus heureuse, la vie de la plupart des animaux de ferme vaut probablement la peine d'être vécue par rapport à ne pas être vécue du tout. Si tel est le cas, il vaut mieux acheter de la viande que d'être végétarien. D'un autre côté, cela n'invalide pas le fait qu'acheter de la viande dans des fermes respectueuses du bien-être animal est bien sûr encore mieux, puisque cela ajoute encore plus de bonheur au total.
Selon si vous mettez les pratiques d'élevage standard au-dessus ou en dessous du niveau « les animaux préfèreraient mourir », vous obtenez un résultat différent :
Avec l’hypothèse « optimiste » à propos des fermes standard : « acheter du poulet plein air » est mieux que « acheter du poulet ordinaire » qui est mieux que « ne pas acheter de poulet »
Avec l’hypothèse « pessimiste » à propos des fermes standard : « acheter du poulet plein air » est mieux que « ne pas acheter de poulet » qui est mieux que « acheter du poulet ordinaire ».
Ce résultat est résumé dans le diagramme ci-dessous.
Dans les deux cas, la conclusion frappante est qu'avec l'utilitarisme total, il est toujours mieux d’acheter du poulet « plein air » que d'être végétarien.
Modèle utilitariste moyen
Considérons maintenant la variante de l'utilitarisme qui nous dit de maximiser le bonheur moyen. L'idée intuitive derrière cette philosophie est de maximiser les chances d'être heureux pour un être vivant venant au monde.
Lorsque vous ajoutez un animal au monde, faites-vous une bonne ou une mauvaise action ? Dans ce modèle, cela dépend de si l'animal ajouté est plus heureux que le niveau de bonheur moyen d’un animal sur Terre. Et ici, le « niveau moyen » ne concerne pas seulement les animaux de la même espèce, ni même tous les animaux d’élevage. Non, je parle de tous les animaux, y compris les animaux sauvages, et y compris les humains ! Donc en théorie, nous devrions regarder le bonheur moyen de tous les humains, animaux sauvages et domestiques, et calculer la moyenne. Appelons X cette moyenne théorique.
Faut-il alors acheter du poulet ? Si vous pensez que les poulets auront un niveau un bonheur supérieur à X au cours de leur vie, alors oui, sinon non. Bonne chance pour estimer ça... Encore plus étrange, cela change aussi la moralité de l’action de donner naissance à de nouveaux humains ! Imaginez qu'en fait, les animaux soient en moyenne plus heureux que la plupart des humains. Il serait alors mal de donner naissance à de nouveaux humains car ils sont moins heureux que les animaux !
Essayons de contourner ce problème
Si, comme moi, vous n'êtes pas un fervent partisan de l'utilitarisme pour les humains, vous pourriez être tenté de dire « mettons simplement les humains de côté ». En effet, si une philosophie plus sophistiquée est nécessaire pour traiter le cas des humains (comme celle de Rawls par exemple), nous pouvons restreindre l'utilitarisme aux animaux uniquement. Dans ce cas, la question serait être plus réaliste car elle deviendrait « Les poulets de ferme sont-ils plus heureux que les animaux en moyenne ? ». Mais là encore, il est pratiquement impossible d'avoir une intuition de l'endroit où se trouve le « bonheur moyen d’un animal », car cela inclut de nombreuses espèces différentes.
Alors faisons encore un effort pour tenter de de sauver l'utilitarisme basé sur la moyenne. Une solution plus utilisable en pratique serait de raisonner par espèce. La réponse à la question « Ce poulet était-il plus heureux que le poulet moyen ? » semble désormais beaucoup plus accessible à la connaissance humaine. Au moins, on peut probablement avoir une intuition sur sa réponse car on peut comparer le bonheur des animaux de la même espèce (il est plus facile de savoir si un poulet est plus heureux qu'un autre que de dire si un poulet est plus heureux qu'une vache par exemple).
Dans ce cas, il y a deux possibilités:
Si l'animal n'existe pas du tout à l'état sauvage, la question est alors : cet animal est-il plus heureux que le niveau de bonheur moyen de cet animal dans les fermes ?
Si l'animal existe à l'état sauvage, il faut le comparer au bonheur moyen de tous les animaux de cet espèce, sauvages et domestiques.
Dans le cas du poulet (et de la plupart des animaux de ferme en fait), presque tous les membres de l’espèce sont des poulets domestiques, donc la question est essentiellement : est-ce que ce poulet de ferme est plus heureux que la moyenne des poulets de ferme ?
Par exemple, si l'on suppose pour simplifier qu'il n'y a que deux techniques d'élevage : « l'élevage industriel » et « l'élevage en plein air », alors la moyenne se situe quelque part entre le bonheur des poulets dans ces deux environnements, plus proche du niveau « industriel » puisque c'est le le plus largement utilisé. Par conséquent, l'achat de poulets « industriels » fait baisser la moyenne vers le niveau de l'élevage industriel, tandis que l'achat de poulets « plein air » la fait monter. Ne pas acheter du tout de poulet est neutre dans ce cas, car cela ne change pas la moyenne.
Pour résumer, dans cette théorie, nous pouvons évaluer notre choix comme ceci:
Acheter du poulet « industriel » => Mauvaise action, car cela réduit le bonheur moyen des poulets.
Acheter du poulet « fermier » => Bonne action, car cela augmente leur bonheur moyen.
Ne pas acheter du tout de poulet => Action neutre, la moyenne est inchangée.
Cette conclusion est peut-être encore plus déroutante que la précédente, car elle fait de l'achat de viande une bonne ou une mauvaise action en fonction du bonheur moyen actuel. Une première chose étrange avec cette vision est que certains acheteurs de poulet font une bonne action et d'autres font nécessairement une mauvaise, car tout le monde ne peut pas être au-dessus de la moyenne par définition. Acheter du poulet « plein air » deviendrait également une mauvaise action s'il devenait la norme et que du poulet « super plein air » était disponible.
Conclusion
Pour résumer :
Dans le modèle de « l'utilitarisme total », il vaut mieux manger de la viande que d'être végétarien si les animaux élevés pour cette viande ont un niveau de bonheur supérieur au niveau où les euthanasier leur rendrait service.
Dans le modèle de « l'utilitarisme moyen », il vaut mieux manger de la viande que d'être végétarien uniquement si la viande que vous achetez provient de fermes où le bien-être animal est supérieur à la moyenne.
Je pense que le message le plus important à retenir est que la philosophie est assez incertaine lorsqu'il s'agit de questions qui impliquent une variation de la taille de la population. Comme l'utilitarisme total et moyen mènent tous les deux à des conclusions discutables, même lorsqu'ils sont appliqués uniquement aux humains, nous devons faire attention aux conclusions que nous en tirons. Tout cela montre que l’argument philosophique pour le végétarisme est loin d’être solide et clair, contrairement à ce que prétendent les philosophes pro-droits des animaux.
Cependant, ne vous méprenez pas. Je ne dis pas que les conditions de vie dans les fermes n'ont pas d'importance, c'est même tout le contraire. Les arguments en faveur de l'amélioration du bien-être des animaux dans les exploitations agricoles sont solides car ils ne dépendent pas du choix douteux du modèle pour gérer une population de taille variable. Enfin, il faut aussi rappeler que nous n’avons étudié la consommation de viande que d’un point de vue moral concernant le bonheur animal, mais on pourrait par ailleurs très bien défendre une réduction de la consommation de viande pour des raisons environnementales.
Annexe : Réponse de Singer à cet argument
Pour être honnête, je tiens à mentionner que Peter Singer a tenté de répondre à ce genre d'objections dans la deuxième édition de La Libération animale :
« Notant que si nous étions tous végétariens, il y aurait beaucoup moins de porcs, de bovins, de poulets et de moutons, quelques mangeurs de viande ont affirmé qu'ils font en fait une faveur aux animaux qu'ils mangent, car sans leur désir de manger de la viande, ces animaux n'auraient jamais vu le jour ! [...]
Cela ne justifie certainement pas de manger de la viande d'animaux produits de manière industrielle, car ils souffrent d'ennui et de privation et sont incapables de satisfaire leurs besoins fondamentaux comme se retourner, faire leur toilette, s'étirer, faire de l'exercice ou participer aux interactions sociales normales pour leur espèce. Leur donner une vie de ce genre n'est pas un service qu’on leur rend, mais plutôt un grand mal qu’on leur fait. Tout au plus, l'argument du bénéfice de faire naître un être pourrait justifier de continuer à manger des animaux élevés en plein air (d'une espèce incapable d'avoir des désirs pour l'avenir), qui ont une existence agréable dans un groupe social adapté à leur besoins comportementaux, et qui sont ensuite tués rapidement et sans douleur. » [1]
Il semble donc que Peter Singer raisonne ici selon le modèle de « l'utilitarisme total ». D’autre part il suppose qu’on est dans le cas pessimiste que j’ai expliqué précédemment c’est à dire que la vie des animaux de ferme est horrible au point qu’ils préfèreraient ne pas exister. Cette dernière hypothèse est discutable je pense. Singer a par ailleurs changé à plusieurs reprises de philosophie sur les questions philosophiques fondamentales derrière cette question [2].
Pour plus d'informations sur l'état actuel du débat philosophique sur cette question, vous pouvez lire l'article de synthèse [2] (lien ci-dessous, en anglais).
[1] Singer, Peter. Animal Liberation (p. 276). Random House. Kindle Edition. (traduction du passage faite par mes soins)
[2] Delon, Nicolas. (2016). The Replaceability Argument in the Ethics of Animal Husbandry. 10.1007/978-94-007-6167-4_512-1. [3] Autre lecture intéressante : "Is Veganism a Moral Imperative?" dans Free Inquiry
Article très bien écrit ! Intéressant.
Par contre, as-t-on le droit de justifier de faire du mal à un être vivant car on l'a fait naître ?
Ne faut-il pas plutôt accepter qu'on inflige une grande externalite negative à un autre être vivant pour son plaisir, et accepter ce que cela dit sur nous ? Loin de faire des humains des monstres (car c'est le propre du vivant), mais ça nous évite de se voiler la face sur nos intentions.