Il est difficile de trouver des exemples de comment utiliser le pronom non-binaire « iel » sans que ce soit un cauchemar en termes de complexité. Voici mon expérience en tant que personne qui utilise ce pronom tous les jours.
Non binaire ?
Certains d’entre vous ont peut-être lu mon récent article « Waking up non-binary » dans lequel je raconte la découverte de ma non-binarité (je suis une personne transgenre qui ne s’identifie ni comme un homme ni comme une femme).
En anglais avec « they/them »
Étant donné que je vis dans l’Ontario au Canada, la plupart de mes interactions se font en anglais. J’utilise alors les pronoms « they/them ».
Il est très courant d’utiliser ces pronoms pour les personnes non binaires car c'est très facile en anglais. En effet cela utilise la même tournure de langage qu’on utilise déjà pour parler de quelqu’un dont on ne connaît pas le genre. Donc en pratique tout le monde sait déjà comment l’utiliser.
Exemple de phrase en anglais avec les pronoms they/them :
I know Raph quite well. They are very interested in computer engineering, and they are learning about computer networks now. Although they are not an expert in this field themselves, their team is there to help them learn.
Certaines personnes non-binaires choisissent néanmoins d’utiliser des néo-pronoms (par exemple xe/xem ou e/ze). Personnellement, je trouve ça déjà assez compliqué d’habituer les gens à utiliser « they/them » donc j’évite d’ajouter une difficulté supplémentaire, mais je n’ai aucune objection à utiliser les néo-pronoms des personnes qui ont de tels pronoms.
En français avec « iel »
Vous avez peut-être entendu parler de la controverse liée à l’ajout du pronom « iel » dans le Robert.
J’utilise ce pronom en français pour moi-même et pour parler des personnes non binaires que je connais, même s’il s’agit de personnes anglophones, donc en gros je considère que « they » se traduit par « iel ».
C’est bien joli, mais personne n’explique jamais comment on s’en sert en vrai, et surtout comment on accorde tous les adjectifs dont une très grande partie sont genrés en français.
Dans le Robert il y a bien des exemples à base de points (écriture inclusive), mais comment faire à l’oral ? Pour un texte écrit les exemples du Robert peuvent marcher, mais ils sont à mon avis plutôt adaptés à une utilisation impersonnelle, dans le cas où ne parle pas d’une personne non-binaire mais d’une personne inconnue.
Alors en pratique, ce que je fais personnellement, c’est que j’accorde iel au féminin. Comme notre langue est très biaisée en faveur du masculin en général (« ils » l’emporte sur « elles » pour un groupe de genre mixte), autant que pour une fois ce soit le féminin qui l’emporte. Cette idée n’a rien d’officiel, c’est juste ce que je fais « en pratique » car j’ai le besoin de parler régulièrement de personnes non-binaires dans la vie de tous les jours.
Exemple avec « iel » accordé au féminin :
River est une très bonne amie. Je la vois régulièrement car nous allons souvent faire des excursions ensemble. Je suis très fière d’iel car iel est venue par iel-même en voiture après avoir passé son permis.
D’ailleurs vous ne vous en rendez peut-être pas compte, mais on parle de temps en temps de soi à la troisième personne en fait :
Je suis sûre que quand tu m’as vue tu t’es dit « Oula aujourd’hui iel a l’air fatiguée »
Aussi, autre fait intéressant, quand vous pensez à vous-même (enfin moi mais peut-être pas tout le monde), vous vous désignez par des pronoms parfois. Et donc en transition vous pouvez très bien vous mégenrer vous-même dans votre tête. J’ai donc dû moi aussi m’habituer à mes nouveaux pronoms (plus souvent « they » que « iel » en fait, car je pense plus souvent en anglais dans ma tête… influence de l’Ontario).
Le pluriel « iels » en français
Quand on parle de plusieurs personnes non-binaires, on peut utiliser « iels » au pluriel. Cela ne présente pas de difficulté :
Je connais plusieurs personnes non-binaires. Iels ne sont pas toutes de la même nationalité.
Que faire si le groupe contient à la fois des personnes binaires et non-binaires ? Dans ce cas j’ai tendance à utiliser « iels » au pluriel également.
En fait, j’utilise même « iels » parfois pour parler d’un groupe de personnes contenant des hommes et des femmes, même s’il n’y a aucune personne non-binaire, mais cela revient à violer une règle existante du français (on utiliserait « ils ») donc c’est plus contre-intuitif.
Conclusion
Je pense que pour qu’une solution s’impose en termes d’usage, il faut que la complexité soit raisonnable. Si l’usage du pronom « iel »nécessite d’accorder de manière inhabituelle tous les adjectifs dans une phrase, j’ai le sentiment que cela ne sera pas utilisé en pratique. Si on essaye de forcer quelque chose de trop compliqué, les gens vont juste éviter de parler des personnes non-binaires pour se simplifier la vie, ce qui pourrait causer des discriminations.
La solution « iel » accordé au féminin est simple à utiliser, mais peut-être ne satisfait-elle pas les personnes non-binaires assignées femmes à la naissance (AFAB) car cela leur rappelle le genre qu’iels rejettent justement. En tant que personne non-binaire assignée homme à la naissance (AMAB), je suis peut-être biaisée en faveur de cette solution.
Une solution pourrait alors être d’indiquer les accords préférés de la personne dans les pronoms, par exemple « Raph (iel/féminin) » ou « River (iel/masculin) » pour que l’on sache comment accorder pour cette personne précise.
Si certains d’entre vous rencontrent cette problématique au quotidien également et ont trouvé une meilleure solution, je serais curieuse de la connaître !
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